Autistes sévères, ils travaillent : une expérience réussie !

Quel avenir pour Luc, autiste sévère ? Jean-François Dufresne a tenté une expérience professionnelle en milieu ordinaire, dans une usine, avec son asso Vivre et travailler autrement. Un succès duplicable à d'autres... Le travail, une thérapie ?

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Handicap.fr : Ce projet « Vivre et travailler autrement » a été mené au nom de votre fils, Luc…
Jean-François Dufresne : Oui, c'est un garçon autiste de 26 ans, un être différent. Avoir un enfant comme lui a été une expérience merveilleuse. Il est gentil, courageux et possède des qualités formidables.

H.fr : Comment vous est venue cette idée ?
JFD : C'est une longue histoire… Luc, c'est la « mauvaise génération » pour les autistes. Son diagnostic relève du miracle. Nous étions aux États-Unis, et son grand-père, qui est médecin, l'a fait diagnostiquer là-bas alors qu'il n'y avait pas de sensibilisation ni de réelle prise en charge en France. Quand il a eu 10 ans, j'ai créé une première asso car il n'existait rien pour lui. Elle s'appelait « Apprendre autrement ».

H.fr : Et puis, quand il a eu 15 ans, toujours la même galère ?
JFD : En effet. Je me suis dit « C'est bien joli, ça marche, ça le fait progresser, il est de plus en plus sociable mais que va-t-il faire plus tard ? ». On a regardé l'offre et pas vraiment d'options. Le mettre dans un centre ? Je n'en dis pas de mal car ils ont le mérite d'exister mais ce n'est pas ce que je voulais pour mon fils. L'hôpital psychiatrique ? Pas question ! Rester à la maison ? Le constat était affligeant : aucun avenir !

H.fr : Ce sont vos souvenirs d'enfance qui vous ont soufflé la solution…
JDF : Oui, je me suis souvenu que, dans le village de ma famille, il y avait celui qu'on appelait « l'idiot du village », certainement autiste parfois. Il était protégé par les habitants mais à condition de bosser un peu en échange. J'ai alors eu l'audace de dire : « Faut les exploiter ! ». C'est une vraie provoc à laquelle je crois profondément. Est-ce qu'il faut vraiment assister les personnes handicapées, les mettre dans du coton ? Exploités, on l'est tous… Alors, s'ils veulent exister, il faut les faire travailler.

H.fr : Vous y allez fort. Vous n'avez pas peur d'attirer les foudres ?
JDF : Je nuance. Il faut faire travailler ceux qui le peuvent mais en les accompagnant, évidemment ! C'est l'objectif de la deuxième association que nous avons créée et qui s'appelle, en toute logique, « Vivre et travailler autrement ».

H.fr : Accompagner les travailleurs avec autisme, oui mais comment ?
JDF : Nous avons mis en œuvre, depuis 2014, un système inédit ; ils travaillent le matin, encadrés par trois équivalents temps plein, et, l'après-midi, ils bénéficient d'un temps de socialisation. Ils font du jardinage, du ménage, les courses, du sport…

H.fr : Accessoirement, vous dirigez le groupe Andros. Un tel projet ne pouvait-il être mené qu'avec l'implication totale d'une grosse entreprise ?
JFD : Oui, il est vrai qu'ils travaillent dans l'une de nos usines, celle d'Auneau (Eure-et-Loir), qui fabrique des produits laitiers, en milieu ordinaire, avec de grosses contraintes en termes de tenue vestimentaire, d'hygiène... Notre groupe a par ailleurs mis à leur disposition un cadre de vie merveilleux, dans le parc du château d'Auneau, propriété de notre groupe, situé juste à côté de l'usine. Huit studios y ont été aménagés pour ceux qui habitent loin ; ils payent un loyer, comme tout un chacun. Les autres rentrent chez eux.

H.fr : Il fallait prouver que l'inclusion professionnelle pouvait marcher et pas seulement avec les Asperger, c'est-à-dire les autistes dits de « haut niveau ».
JDF : Oui, tout à fait. La plupart de nos travailleurs sont non verbaux. Mon fils, par exemple, a un autisme sévère, n'est pas capable de tenir une conversation, et pourtant il s'épanouit dans son travail. Regardez notre film (ci-dessous) ; toutes les réponses sont dedans ! Notre expérience est un succès puisque beaucoup font des progrès fulgurants. La responsable de l'autisme au sein des hôpitaux de Chartres, qui fait partie depuis le début du fonctionnement de notre dispositif, m'a même confié : « Je n'imaginais pas que le travail pourrait être une thérapie aussi efficace ».

H.fr : Mais cela concerne-t-il vraiment une vaste proportion de personnes avec autisme ?
JFD : La France compte 300 000 adultes autistes en âge de travailler mais seulement 2% sont en emploi. Je considère que 30% des personnes accueillies en MAS (maison d'accueil spécialisée) ou FAM (foyer d'accueil médicalisé) pourraient travailler chez nous. C'est énorme ! Même si ce n'est évidemment pas la seule solution.

H.fr : Le résultat est-il vraiment concluant ?
JFD : Je vous assure qu'ils sont au moins aussi efficaces que les employés dits « ordinaires ». La plupart apprécient les tâches répétitives et font preuve d'une productivité étonnante. C'est bon pour eux, bon pour l'entreprise et bon pour la société.

H.fr : En effet, c'est une option tout bénef pour les finances publiques ?
JFD : Je vous laisse faire le calcul ! Une place en FAM ou MAS coûte en moyenne 85 000 euros par an et par résident. Nous avons créé une expérimentation qui, avec l'aide de l'Etat (budget Agence régionale de santé et Conseil départemental), revient à 35 000 euros par an et par personne. Cette aide nous permet de financer les 8 accompagnants : 3 sur le lieu de travail et 5 sur le lieu de vie (pour les activités, la vie quotidienne et la nuit). Nous  accueillons 8 travailleurs autistes aujourd'hui et comptons monter en puissance progressivement, avec l'objectif de 12 personnes d'ici fin 2018. J'espère que, dans quelques années, certains d'entre-eux auront une autonomie suffisante pour se lancer dans la vie ordinaire.

H.fr : Il n'y a aucune femme ?
JFD : Non parce que nous n'avons jamais eu de candidatures féminines. Nous les accueillerions bien volontiers.

H.fr : Et leurs collègues, comment réagissent-ils ?
JFD : L'usine compte 300 employés et, franchement, ils sont enchantés et fiers. Leur regard sur l'autisme a complètement changé. Même constat auprès de la municipalité et des commerçants ; tous nos travailleurs sont bien acceptés.

H.fr : Vos propos parfois tranchés attisent-ils la critique des détracteurs ?
JFD : S'ils existent, ils ne se sont jamais manifestés. Je donne souvent des conférences sur emploi et autisme et personne ne m'a encore dit que notre concept était idiot.

JFD : Existe-t-il d'autres dispositifs aussi inclusifs en France ? Et qu'en pensent les politiques ?
JFD : Pas à ma connaissance. Cette expérience a pu être tentée car elle s'appuie sur une entreprise partenaire solide. Ségolène Neuville, ancienne secrétaire d'État en charge des personnes handicapées, m'a encouragé vivement à développer ce concept et à convaincre d'autres entreprises. A ma connaissance, la nouvelle secrétaire d'État, Sophie Cluzel, apprécie également notre dispositif. Nous avons également l'appui du groupe autisme de l'assemblée présidé par le député LR Daniel Fasquelle et de la sénatrice Dominique Gillot, par ailleurs présidente du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées).

H.fr : Comment comptez-vous diffuser vos bonnes pratiques ?
JFD : J'ai commencé à prendre contact avec quelques grandes entreprises, qui réagissent favorablement. Avec le soutien de la Fondation Malakoff Médéric, nous sommes également en train de rédiger un guide à destination des entreprises. Comme ce dispositif expérimental semble remporter un réel succès auprès de tous, son essaimage devient pour moi une priorité ; je compte bien y consacrer les 10 prochaines années de mon existence et je m'en réjouis !

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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