Polémique emploi accompagné : la guerre n'aura pas lieu !

Emploi accompagné, monopole du médico-social ? Eric Blanchet, DG de LADAPT* dit "Non!". Plutôt que de s'opposer, il appelle tous les acteurs, y compris le patronat, à se saisir de cette belle opportunité pour les travailleurs handicapés.

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*Association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées

Handicap.fr : LADAPT a souhaité obtenir un droit de réponse après la prise de parole du Medef dans un article publié sur handicap.fr : « Emploi accompagné : le médico-social prépare son monopole ? » (en lien ci-dessous)…

Éric Blanchet : Ce qui me gêne dans cette intervention, c'est qu'Hervé Allart de Hees, votre interlocuteur, définit le handicap par la notion de marché. L'emploi accompagné existe en Europe depuis 20 ans. Le secteur de l'économie sociale et solidaire dont les associations font parties, en lien étroit avec les autres acteurs économiques, les entreprises en premier lieu, travaillent d'arrache-pied pour faire rentrer cette disposition dans le droit commun des Etats membres. L'emploi accompagné a fait ses preuves, avec des initiatives pleines de bon sens. Nous sommes loin d'une vision étroite et de l'expression d'un monopole, encore moins d'un marché captif. La fameuse loi du marché va peut-être faire le tri entre les bons et les mauvais prestataires, à terme. Mais, en attendant, les PME qui auront eu affaire à des « gangsters » n'y reviendront pas. Il faut sécuriser les entreprises et le dispositif dès le début.

Handicap.fr : Rappelons que l'emploi accompagné c'est un suivi des travailleurs handicapés en emploi en milieu ordinaire qui s'inscrit dans la durée et permet d'épauler à la fois le travailleur et son environnement de travail…
EB : Il s'agit bien en effet de favoriser l'accès à l'emploi et le maintien pour les personnes en situation de handicap ou vulnérables. Un outil complémentaire précieux qui permet d'aller vers le milieu ordinaire ou d'y rester.

H.fr : Lorsqu'on parle d'emploi accompagné, on pense souvent handicap psychique…
EB : Non, pas seulement. Il y a aussi les travailleurs avec un handicap moteur ou intellectuel, avec des maladies invalidantes, des traumas crâniens… Toutes formes de handicap et de fragilité en fait. Cet accompagnement doit être adaptable à la personne et à l'entreprise.

H.fr : Ce que prétend le Medef, c'est que les patrons n'ont pas été interrogés sur cette question…
EB : L'Agefiph (Fonds de gestion pour l'emploi des travailleurs dans le privé) a quand même travaillé sur la question et il me semble que c'est une organisation paritaire à laquelle participe le patronat. Non ? L'amendement relatif à l'emploi accompagné n'est pas sorti de nulle part. Il n'y aurait pas eu suffisamment de discussions, y compris au sein des ministères ? Comme le dit lui-même monsieur Allart de Hees, le handicap au sein du Medef c'était, il y a encore deux ans, un « non sujet », contrairement à la CGPME qui était plus à l'écoute. Le Medef découvre les vertus du paritarisme quand il s'agit de l'emploi et du handicap. Je m'en félicite. Il n'en reste pas moins que les affirmations à l'emporte-pièce à propos d'un monopole dont disposerait le secteur médico-social en termes d'emploi accompagné sont erronées.

H.fr : Selon vous, le médico-social a donc toute légitimité à revendiquer la « paternité » de cet accompagnement ?
EB : Force est de constater que c'est bien du secteur médico-social et de sa capacité à proposer de l'innovation sociale qu'est partie l'initiative d'implémentation par la loi de l'emploi accompagné en France. C'est lui qui a travaillé pour qu'il devienne une réalité. Mais j'admets que tout « donner » au médico-social serait une erreur. Nous devons donc travailler sur un texte qui offre des garanties et un cadrage.

H.fr : Quel type de garanties ?
EB : En France, on aime bien les labels. Alors pourquoi pas ?  Si on veut faire bouger les PME, il faut du pratique, pas une usine à gaz, leur offrir les garanties qu'on ne va pas recréer de complexité administrative, ce qui a été le cas pour la mise en place des MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées). Si le dispositif au départ ne tient pas compte de cela, ça ne marchera pas. Il faut que l'accès à l'emploi accompagné soit d'une grande simplicité, aussi bien pour les personnes handicapées que pour les entreprises, en particulier pour les PME et les TPE.

H.fr : Vous comptez donc sur le dynamisme des PME dans ce domaine ?
EB : Oui, c'est un précieux vivier, y compris les start-up qui peuvent bousculer les représentations qu'on a sur les personnes handicapées. Un vaste panel de nouveaux métiers est accessible mais encore faut-il changer de posture. Certaines PME proposent déjà des initiatives vraiment intéressantes.

H.fr : Le médico-social ne doit-il pas pour autant se remettre en question ?
EB : Là où je suis d'accord avec les propos pourtant acerbes de monsieur Allart, c'est la nécessité pour le médico-social de se transformer mais cela doit se faire avec les autres acteurs. Il faut accompagner cette transformation. Plutôt que d'opposer les uns les autres dans une démarche opportuniste et démagogique, il serait utile de discuter de ce sujet sérieux avec des interlocuteurs actifs.

H.fr : Quels sont les ingrédients nécessaires pour réussir ce pari ?
EB : Du concret, et rapidement ! Quels vont être les acteurs pour le piloter ? Comment le financer ? Les délais doivent être courts et penser aux aspects pratiques pour les entrepreneurs et les personnes concernées. Le collectif associatif va y être extrêmement attentif.

H.fr : Quel est le prochain évènement sur ce thème ?
EB : Lors de la 20e édition de la SEPH 2016, devenue depuis deux ans la SEEPH ou Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (du 14 au 20 novembre), c'est le thème de « L'innovation numérique au service de l'innovation sociale » qui est retenu. LADAPT a préparé 5 hackathons, dont un sur l'emploi accompagné. Nous faisons actuellement le tour des grands acteurs qui voudraient bien nous recevoir sur ce sujet : syndicats, médecins du travail, ESS. D'une manière générale, toute la sphère qui est censée agir en prévention et action.

H.fr : Vous avez bon espoir ?
EB : Oui, le monde change, les citoyens se mobilisent, la convention internationale relative au droit des personnes handicapées va dans ce sens. Plus modestement, notre projet associatif 2016-2020 ambitionne d'accompagner toujours mieux les personnes handicapées dans ce sens et leur permettre de vivre dans leur choix.

Réponse d'Hervé Allart de Hees* 

*président du MEDEF (Mouvement des entreprises de France) 93 et 94 et secrétaire général du Conseil national du handicap.

La notion de marché intègre l'ensemble des acteurs économiques ayant une offre à proposer sur un besoin déterminé. Le statut de l'acteur économique n'est pas déterminant, qu'il s'agisse d'une structure commerciale ou d'une structure associative. Pour exemple, l'Agefiph lance régulièrement des appels d'offres auxquels les acteurs économiques du secteur associatif médico-social répondent. De même, les notions de « gangsters », de compétence ou d'innovation ne préjugent en rien du statut.


On peut observer que, depuis la loi de 2005, les entreprises, qui avaient certes du retard, ont été aussi à l'origine de beaucoup d'innovations. La compétence s'exprime ainsi partout et bien évidemment dans le secteur du médico-social comme dans les entreprises. Il n'y a aucun lieu de tenter d'opposer les uns aux autres, le seul objectif doit être l'efficacité, et l'ouverture en est un gage. Le sujet de l'accompagnement est un vrai sujet, seule la forme adoptée pour le traiter dans le cadre de la loi travail ne respecte pas l'organisation prévue par notre société et le législateur, à savoir qu'il s'agit d'un sujet dont les partenaires sociaux ont la charge.

La Présidente de l'Agefiph a d'ailleurs confirmé le fait que l'institution n'avait pas été consultée. Un communiqué de la quasi-unanimité de ses administrateurs l'a précisé sur un autre point de la loi. Toutefois, l'Agefiph est un opérateur géré paritairement avec une mission de service public, elle n'a pas le statut des partenaires sociaux, que sont les syndicats de salariés et les organisations patronales, qui n'ont pas été consultés, alors qu'ils sont seuls légitimes pour traiter des évolutions de ce type. La question suggérée est la bonne : qui est à l'initiative d'un amendement qui, portant le numéro 4701 sur plus ou moins 5 000, n'était pas près d'être trouvé, sauf à être un professionnel de la spéléologie, d'autant que les amendements sont traités par ordre chronologique… Pour finir, avec 35 000 mandataires bénévoles, dont une grande partie dans le champ du paritarisme, le Medef (les organisations patronales de l'époque) a découvert la vertu du paritarisme depuis l'après-guerre et en a été très souvent à l'origine.

En conclusion, sans démagogie ni opportunisme, sans propos acerbes, seulement des propos qui souhaitent poser des interrogations de fond avec clarté, il y a déjà au moins 5 enjeux traités qui méritent une attention collective : l'absence de consultation des partenaires sociaux, un format permettant l'efficacité et la liberté de choix, pas de réel volet handicap dans la loi travail, 2 fois plus de chômeurs handicapés et la liberté des personnes handicapées concernées. Le reste est somme toute accessoire.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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